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notre adhésion, la ralentir en négligeant d’user de la volonté contre les mouvements désordonnés de la partie charnelle de l’âme. Mais néanmoins cette croissance, quand elle s’opère, s’opère en nous sans nous.

L’effort mal placé vers le bien, vers Dieu, est encore un piège, un mensonge de la partie médiocre de nous-mêmes qui cherche à éviter la mort. Il est très difficile de comprendre que c’est un mensonge, et c’est pourquoi il est très dangereux. Tout se passe comme si la partie médiocre de nous-mêmes en savait beaucoup plus que nous sur les conditions du salut, et c’est ce qui force à admettre quelque chose comme le démon. Il y a des gens qui cherchent Dieu à la manière de quelqu’un qui sauterait à pieds joints dans l’espoir qu’à force de sauter toujours un peu plus haut il finira un jour par ne plus retomber, par monter jusqu’au ciel. Cet espoir est vain. Dans le conte de Grimm intitulé Le Vaillant petit Tailleur, il y a un concours de force entre le petit tailleur et un géant. Le géant lance une pierre en haut, si haut qu’elle met très, très longtemps avant de retomber. Le petit tailleur, qui a un oiseau dans sa poche, dit qu’il peut faire beaucoup mieux, que les pierres qu’il lance ne retombent pas ; et il lâche son oiseau. Ce qui n’a pas d’ailes finit toujours par retomber. Les gens qui sautent à pieds joints vers le ciel, absorbés par cet effort musculaire, ne regardent pas le ciel. Et le regard est la seule chose efficace en cette matière. Car il fait descendre Dieu. Et quand Dieu est descendu jusqu’à nous, il nous soulève, il nous met des ailes. Nos efforts musculaires n’ont d’efficacité et