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mort charnelle et qui fait pareillement horreur à la nature. La mort de ce qui en nous dit « je ».

Quelquefois la chair nous détourne de Dieu, mais souvent, quand nous croyons que les choses se passent ainsi, c’est en réalité le contraire qui se produit. L’âme incapable de supporter cette présence meurtrière de Dieu, cette brûlure, se réfugie derrière la chair, prend la chair comme écran. En ce cas, ce n’est pas la chair qui fait oublier Dieu, c’est l’âme qui cherche l’oubli de Dieu dans la chair, qui s’y cache. Il n’y a pas alors défaillance, mais trahison, et la tentation d’une telle trahison est toujours là tant que la partie médiocre de l’âme l’emporte de beaucoup sur la partie pure. Des fautes en elles-mêmes très légères peuvent constituer une telle trahison ; elles sont alors infiniment plus graves que des fautes en elles-mêmes très graves causées par une défaillance. On évite la trahison, non par un effort, par une violence contre soi-même, mais par un simple choix. Il suffit de regarder comme étrangère et ennemie la partie de nous-mêmes qui veut se cacher de Dieu, même si elle est presque tout nous-mêmes, si elle est nous-mêmes. Il faut prononcer en soi-même perpétuellement une parole d’adhésion à la partie de nous-mêmes qui réclame Dieu, même quand elle n’est encore qu’un infiniment petit. Cet infiniment petit, tant que nous y adhérons, croît d’une croissance exponentielle, selon une progression géométrique analogue à la série 2, 4, 8, 16, 32, etc., comme fait une graine, et cela sans que nous y soyons pour rien. Nous pouvons arrêter cette croissance en lui refusant