Page:Weil - Pensées sans ordre concernant l’amour de DIeu, 1962.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolte. Elle fabrique tous les mensonges susceptibles de détourner le regard.

Un de ces mensonges, ce sont les faux dieux qu’on nomme Dieu. On peut croire qu’on pense à Dieu alors qu’en réalité on aime certains êtres humains qui nous ont parlé de lui, ou un certain milieu social, ou certaines habitudes de vie, ou une certaine paix de l’âme, une certaine source de joie sensible, d’espérance, de réconfort, de consolation. En pareil cas la partie médiocre de l’âme est en complète sécurité ; la prière même ne la menace pas.

Un autre mensonge, c’est le plaisir et la douleur. Nous savons très bien que certaines omissions ou certaines actions causées par l’attrait du plaisir ou la crainte de la douleur nous forcent à détourner le regard de Dieu. Quand nous nous y laissons aller, nous croyons avoir été vaincus par le plaisir ou la douleur ; mais c’est très souvent une illusion. Très souvent le plaisir et la douleur sensibles sont seulement un prétexte que prend la partie médiocre de nous-mêmes pour nous détourner de Dieu. Par eux-mêmes ils ne sont pas si puissants. Il n’est pas si difficile de renoncer à un plaisir même enivrant, de se soumettre à une douleur même violente. On le voit faire quotidiennement par des gens très médiocres. Mais il est infiniment difficile de renoncer même à un très léger plaisir, de s’exposer même à une très légère peine, seulement pour Dieu ; pour le vrai Dieu, pour celui qui est dans les cieux et non pas ailleurs. Car quand on le fait, ce n’est pas à la souffrance qu’on va, c’est à la mort. Une mort plus radicale que la