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tion. Il s’agit d’immobilité spirituelle, non matérielle. Mais il ne faut pas agir, ni d’ailleurs s’abstenir d’agir, par volonté propre. Il faut faire seulement en premier lieu ce à quoi on est contraint par une obligation stricte, puis ce qu’on pense honnêtement nous être commandé par Dieu ; enfin, s’il reste un domaine indéterminé, ce à quoi une inclination naturelle nous pousse, à condition qu’il ne s’agisse de rien d’illégitime. Il ne faut faire d’effort de volonté dans le domaine de l’action que pour remplir les obligations strictes. Les actes qui procèdent de l’inclination ne constituent évidemment pas des efforts. Quant aux actes d’obéissance à Dieu, on y est passif ; quelles que soient les peines qui les accompagnent, ils n’exigent pas d’effort à proprement parler, pas d’effort actif, mais plutôt la patience, la capacité de supporter et de souffrir. La crucifixion du Christ en est le modèle. Même si, vu du dehors, un acte d’obéissance semble s’accompagner d’un grand déploiement d’activité, il n’y a en réalité au-dedans de l’âme que souffrance passive.

Il y a un effort à faire qui est de loin le plus dur de tous, mais il n’est pas du domaine de l’action. C’est de tenir le regard dirigé vers Dieu, de le ramener quand il s’est écarté, de l’appliquer par moments avec toute l’intensité dont on dispose. Cela est très dur parce que toute la partie médiocre de nous-mêmes, qui est presque tout nous-mêmes, qui est nous-mêmes, qui est ce que nous nommons notre moi, se sent condamnée à mort par cette application du regard sur Dieu. Et elle ne veut pas mourir. Elle se