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La deuxième réforme serait de faire de l’Eucharistie le centre même de la vie quotidienne dans tous les pays de vignoble et de blé.

Si le Christ a choisi le pain et le vin pour s’y incarner après sa mort, chaque jour, à travers les siècles, et non pas par exemple de l’eau et des fruits sauvages, ce n’était pas sans raison. Il y a sans doute une infinité de raisons pour une action infiniment sage. Mais en voici peut-être une.

Un homme qui travaille brûle sa propre chair et la transforme en énergie comme une machine brûle du charbon. C’est pourquoi s’il travaille trop ou s’il ne mange pas assez par rapport au travail qu’il fournit, il maigrit ; il perd de la chair. Ainsi on peut dire en un sens que le travailleur manuel transforme sa chair et son sang en objets fabriqués.

Pour le paysan, ces objets fabriqués sont le pain et le vin.

Le prêtre a le privilège de faire surgir sur l’autel la chair et le sang du Christ. Mais, le paysan a un privilège non moins sublime. Sa chair et son sang, sacrifiés au cours d’interminables heures de travail, passant à travers le blé et le raisin, deviennent eux-mêmes la chair et le sang du Christ.

Le travail manuel est ou bien une servitude dégradante pour l’âme, ou bien un sacrifice. Dans le cas du travail des champs, le lien avec l’Eucharistie, si seulement il est senti, suffit pour en faire un sacrifice.

En ce cas un paysan, en menant une vie normale, avec femme et enfants, avec des plaisirs modérés les