Page:Weil - Pensées sans ordre concernant l’amour de DIeu, 1962.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suis venu jeter un feu sur la terre, et qu’ai-je à désirer si déjà l’incendie a pris ? ».

Et ainsi de suite pour tous les événements saisonniers ou accidentels de la vie du village qui peuvent être rapprochés d’un passage du Nouveau Testament.

(Ou même, mais avec prudence, de l’Ancien ; par exemple au printemps, le Cantique des Cantiques : « Mon amie, lève-toi et viens t’en… ».)

Il s’agit de transformer, dans la plus large mesure possible, la vie quotidienne elle-même en une métaphore à signification divine, en une parabole.

Une métaphore, ce sont des mots portant sur des choses matérielles et enveloppant une signification spirituelle. Ainsi « si le grain ne meurt… ».

Si on remplace ces mots par la chose elle-même, unie à la même signification, la métaphore est bien autrement puissante.

Ainsi le spectacle du grain qui s’enfonce dans le sillon, si le paysan qui sème est capable de lire dans ce spectacle l’âme charnelle (le « vieil homme ») qui meurt par le renoncement pour ressusciter comme nouvelle créature de Dieu.

Pour un tel semeur, les heures de semaille seraient des heures d’oraison aussi parfaites que celles de n’importe quel carme dans sa cellule, et cela sans que le travail en souffre, puisque son attention serait dirigée sur le travail.

(Soit dit en passant, à mon avis les mythologies des peuples de l’antiquité — excepté les Romains — étaient de telles métaphores, dont les initiés connaissaient la signification ; et était initié qui voulait.)