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nous sommes malgré nous et où nous avons horreur de nous trouver.

Le mal qui est en nous, nous en transportons une partie sur les objets de notre attention et de notre désir. Et ils nous le renvoient comme si ce mal venait d’eux. C’est pour cela que nous prenons en haine et en dégoût les lieux dans lesquels nous nous trouvons submergés par le mal. Il nous semble que ces lieux mêmes nous emprisonnent dans le mal. C’est ainsi que les malades prennent en haine leur chambre et leur entourage, même si cet entourage est fait d’êtres aimés, que les ouvriers prennent parfois en haine leur usine, et ainsi de suite.

Mais si par l’attention et le désir nous transportons une partie de notre mal sur une chose parfaitement pure, elle ne peut pas en être souillée ; elle reste pure ; elle ne nous renvoie pas ce mal ; ainsi nous en sommes délivrés.

Nous sommes des êtres finis ; le mal qui est en nous est aussi fini ; ainsi au cas où la vie humaine durerait assez longtemps, nous serions tout à fait sûrs par ce moyen de finir par être un jour, dans ce monde même, délivrés de tout mal.

Les paroles qui composent le Pater sont parfaitement pures. Si on récite le Pater sans aucune autre intention que de porter sur ces paroles mêmes la plénitude de l’attention dont on est capable, on est tout à fait sûr d’être délivré par ce moyen d’une partie, si petite soit-elle, du mal qu’on porte en soi. De même si on regarde le Saint-Sacrement sans aucune autre pensée, sinon que le Christ est là ; et ainsi de suite.