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mais c’est un malheur resplendissant de la lumière de la joie. Le malheur enferme la vérité de notre condition. Ceux qui préfèrent apercevoir la vérité et mourir que vivre une existence longue et heureuse dans l’illusion verront seuls Dieu. Il faut vouloir aller vers la réalité ; alors, croyant trouver un cadavre, on rencontre un ange qui dit : « Il est ressuscité. »

La seule source de clarté assez lumineuse pour éclairer le malheur est la Croix du Christ. À n’importe quelle époque, dans n’importe quel pays, partout où il y a un malheur, la Croix du Christ en est la vérité. Tout homme qui aime la vérité au point de ne pas courir dans les profondeurs du mensonge pour fuir la face du malheur a part à la Croix du Christ, quelle que soit sa croyance. Si Dieu avait consenti à priver du Christ les hommes d’un pays et d’une époque déterminée, nous le reconnaîtrions à un signe certain, c’est que parmi eux il n’y aurait pas de malheur. Nous ne connaissons rien de pareil dans l’histoire. Partout où il y a le malheur, il y a la Croix, cachée, mais présente à quiconque choisit la vérité plutôt que le mensonge et l’amour plutôt que la haine. Le malheur sans la Croix, c’est l’enfer, et Dieu n’a pas mis l’enfer sur terre.

Réciproquement, les chrétiens si nombreux qui n’ont pas la force de reconnaître et d’adorer dans chaque malheur la Croix bienheureuse n’ont pas de part au Christ. Rien ne montre mieux la faiblesse de la foi que la facilité avec laquelle, même parmi les chrétiens, dès qu’on parle du malheur, on passe à côté du problème. Ce qu’on peut dire sur le péché