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reux qui reçoit ce don miraculeux a le choix d’y consentir ou non.

Un malheureux, si le malheur est complet, est privé de tout rapport humain. Il n’y a pour lui que deux espèces de relations possibles avec les hommes, celles où il ne figure que comme une chose, qui sont aussi mécaniques que la relation entre deux gouttes d’eau voisines, et l’amour purement surnaturel. La région intermédiaire lui est interdite. Il n’y a place dans sa vie que pour l’eau et l’Esprit. Le malheur consenti, accepté, aimé, est vraiment un baptême.

C’est parce que le Christ est seul capable de compassion que pendant son séjour sur terre il n’en a pas obtenu. Étant en chair ici-bas, il n’habitait à l’intérieur de l’âme d’aucun de ceux qui l’entouraient ; dès lors nul ne pouvait avoir pitié de lui. La douleur l’a contraint à solliciter la compassion, et ses amis les plus proches la lui ont refusée. Ils l’ont laissé souffrir seul. Jean lui-même a dormi. Pierre avait été capable de marcher sur les eaux, mais il n’était pas capable d’avoir pitié de son maître tombé dans le malheur. Ils se sont réfugiés dans le sommeil pour ne plus le voir. Quand la Miséricorde elle-même devient malheur, où trouverait-elle du secours ? Il aurait fallu un autre Christ pour avoir pitié du Christ malheureux. Au cours des siècles suivants la compassion pour le malheur du Christ a été un des signes de la sainteté.

L’opération surnaturelle de l’aumône, contrairement à celle, par exemple, de la communion, n’exige pas une complète connaissance. Car ceux que le Christ