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l’homme disparaissait sous l’eau ; c’est se nier soi-même, avouer qu’on est seulement un fragment de la matière inerte dont est faite la création. Il ne reparaissait que soulevé par un mouvement ascendant plus fort que la pesanteur, image de l’amour divin dans l’homme. Le symbole qu’enferme le baptême, c’est l’état de perfection. La promesse liée au baptême est celle de désirer et demander à Dieu cet état, perpétuellement, inlassablement, aussi longtemps qu’on ne l’a pas obtenu, comme un enfant affamé ne se lasse pas de demander à son père du pain. Mais à quoi engage une telle promesse, on ne peut pas le savoir tant qu’on n’a pas été en présence de la face terrible du malheur. En ce lieu seulement, face à face avec le malheur, peut être contracté l’engagement véritable, par un contact plus secret, plus mystérieux, plus miraculeux encore qu’un sacrement.

La connaissance du malheur étant naturellement impossible aussi bien à ceux qui l’ont qu’à ceux qui ne l’ont pas éprouvé, elle est également possible aux uns et aux autres par faveur surnaturelle. Autrement le Christ n’aurait pas épargné le malheur à celui qu’il chérissait par-dessus tous, après lui avoir promis qu’il le ferait boire dans sa coupe. Dans les deux cas, la connaissance du malheur est une chose bien plus miraculeuse que la marche sur les eaux.

Ceux que le Christ reconnaît comme ayant été ses bienfaiteurs, ce sont ceux dont la compassion reposait sur la connaissance du malheur. Les autres donnent capricieusement, irrégulièrement, ou au contraire trop