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La douleur physique intense et longue à cet unique avantage, que notre sensibilité est faite de manière à ne pas pouvoir l’accepter. Nous pouvons nous habituer, nous complaire, nous adapter à n’importe quoi sauf à cela, et nous nous adaptons pour avoir l’illusion de la puissance, pour croire que nous commandons. Nous jouons à nous imaginer que nous avons choisi ce qui nous est imposé. Quand un être humain est transformé à ses propres yeux en une sorte de bête à peu près paralysée et tout à fait répugnante, il ne peut plus avoir cette illusion. C’est mieux encore si cette transformation s’est accomplie par la volonté des hommes, par l’effet d’une réprobation sociale, à condition que ce soit un acte d’oppression en quelque sorte anonyme et non pas une persécution honorable. La partie charnelle de notre âme n’est sensible à la nécessité que comme contrainte, et n’est sensible à la contrainte que comme douleur physique. C’est la même vérité qui pénètre dans la sensibilité charnelle par la douleur physique, dans l’intelligence par la démonstration mathématique, et dans la faculté d’amour par la beauté. Aussi Job, une fois le voile de chair déchiré par le malheur, voit-il à nu la beauté du monde. La beauté du monde apparaît quand on reconnaît la nécessité comme substance de l’univers, et l’obéissance à un Amour parfaitement sage comme substance de la nécessité. Cet univers dont nous sommes un fragment n’a pas d’autre être que d’être obéissant.

La joie sensible a une vertu analogue à celle de la douleur physique quand elle est si vive, si pure, quand