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chacun dans sa pureté, sans chercher à les mélanger. Par la joie la beauté du monde pénètre dans notre âme. Par la douleur elle nous entre dans le corps. Avec la joie seule, nous ne pourrions pas plus devenir amis de Dieu que l’on ne devient capitaine seulement en étudiant des manuels de navigation. Le corps a part dans tout apprentissage. Au niveau de la sensibilité physique, la douleur seule est un contact avec cette nécessité qui constitue l’ordre du monde ; car le plaisir n’enferme pas l’impression d’une nécessité. C’est une partie plus élevée de la sensibilité qui est capable de sentir la nécessité dans la joie, et cela seulement par l’intermédiaire du sentiment du beau. Pour que notre être devienne un jour sensible tout entier, de part en part, à cette obéissance qui est la substance de la matière, pour que se forme en nous ce sens nouveau qui permet d’entendre l’univers comme étant la vibration de la parole de Dieu, la vertu transformatrice de la douleur et celle de la joie sont également indispensables. Il faut ouvrir à l’une et à l’autre, quand l’une ou l’autre se présente, le centre même de l’âme, comme on ouvre sa porte aux messagers de celui qu’on aime. Qu’importe à une amante que le messager soit poli ou brutal, s’il lui tend un message ?

Mais le malheur n’est pas la douleur. Le malheur est bien autre chose qu’un procédé pédagogique de Dieu.

L’infinité de l’espace et du temps nous sépare de Dieu. Comment le chercherions-nous ? Comment irions-nous vers lui ? Quand même nous marcherions tout au long des siècles, nous ne ferions pas autre chose que tourner autour de la terre. Même en avion, nous ne