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métier, de même on apprend à sentir en toute chose, avant tout et presque uniquement, l’obéissance de l’univers à Dieu. C’est vraiment un apprentissage. Comme tout apprentissage, il demande des efforts et du temps. Pour qui est arrivé au terme, il n’y a pas plus de différence entre les choses, entre les événements, que la différence sentie par quelqu’un qui sait lire devant une même phrase reproduite plusieurs fois, écrite à l’encre rouge, à l’encre bleue, imprimée en tels, tels et tels caractères. Celui qui ne sait pas lire ne voit là que des différences. Pour qui sait lire, tout cela est équivalent, puisque la phrase est la même. Pour qui a achevé l’apprentissage, les choses et les événements, partout, toujours, sont la vibration de la même parole divine infiniment douce. Cela ne veut pas dire qu’il ne souffre pas. La douleur est la coloration de certains événements. Devant une phrase écrite à l’encre rouge, celui qui sait lire et celui qui ne sait pas voient pareillement du rouge ; mais la coloration rouge n’a pas la même importance pour l’un et pour l’autre.

Quand un apprenti se blesse ou bien se plaint de fatigue, les ouvriers, les paysans, ont cette belle parole : « C’est le métier qui rentre dans le corps ». Chaque fois que nous subissons une douleur, nous pouvons nous dire avec vérité que c’est l’univers, l’ordre du monde, la beauté du monde, l’obéissance de la création à Dieu qui nous entrent dans le corps. Dès lors, comment ne bénirions-nous pas avec la plus tendre reconnaissance l’Amour qui nous envoie ce don ?

La joie et la douleur sont des dons également précieux, qu’il faut savourer l’un et l’autre intégralement,