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une direction déterminée, mais en condamnant à être inefficaces tous les efforts dirigés dans les voies qu’elles interdisent.

Ces conditions d’existence sont déterminées tout d’abord, comme pour les êtres vivants, d’une part par le milieu naturel, d’autre part par l’existence, par l’activité et particulièrement par la concurrence des autres organismes de même espèce, c’est-à-dire en l’occurrence des autres groupements sociaux. Mais un troisième facteur entre encore en jeu, à savoir l’aménagement du milieu naturel, l’outillage, l’armement, les procédés de travail et de combat ; et ce facteur occupe une place à part du fait que, s’il agit sur la forme de l’organisation sociale, il en subit à son tour la réaction. Au reste ce facteur est le seul sur lequel les membres d’une société puissent peut-être avoir quelque prise. Cet aperçu est trop abstrait pour pouvoir guider ; mais si l’on pouvait à partir de cette vue sommaire arriver à des analyses concrètes, il deviendrait enfin possible de poser le problème social. La bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu’individus est l’unique principe possible du progrès social ; si les nécessités sociales, une fois clairement aperçues, se révélaient comme étant hors de la portée de cette bonne volonté au même titre que celles qui régissent les astres, chacun n’aurait plus qu’à regarder se dérouler l’histoire comme on regarde se dérouler les saisons, en faisant son possible pour éviter à lui-même et aux êtres aimés le malheur d’être soit un instrument soit une victime de l’oppression sociale. S’il en est autrement, il faudrait tout d’abord définir à titre de limite idéale les conditions objectives qui laisseraient place à une organisation sociale absolument pure d’oppression ; puis chercher par quels moyens et dans quelle mesure on peut transformer les conditions effectivement données de manière à les rapprocher de cet idéal ; trouver quelle est la forme la moins oppressive