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Quant à nous, Marx représente pour nous, dans le meilleur des cas, une doctrine ; bien plus souvent un simple nom, que l’on jette à la tête de l’adversaire pour le pulvériser ; presque jamais une méthode. Le marxisme ne peut cependant rester vivant qu’à titre de méthode d’analyse, dont chaque génération se sert pour définir les phénomènes essentiels de sa propre époque. Or il semble que nos corps vivent seuls dans cette période prodigieusement nouvelle, qui dément toutes les prévisions antérieures ; et que nos esprits continuent à se mouvoir, sinon au temps de la première Internationale, du moins au temps d’avant-guerre, à l’époque de la C.G.T. révolutionnaire et du parti bolchévik russe. Nul n’essaie de définir la période actuelle. Trotsky a bien dit et même répété à maintes reprises que, depuis 1914, le capitalisme est entré dans une nouvelle période, celle de son déclin ; mais il n’a jamais eu le temps de dire ce qu’il entend par là au juste, ni sur quoi il se fonde. On ne saurait le lui reprocher, mais cela ôte toute valeur à sa formule. Et personne, que je sache, n’est allé plus loin.

Celui qui admet la formule de Lénine : « Sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire » est forcé d’admettre aussi qu’il n’y a à peu près pas de mouvement révolutionnaire en ce moment.

Il y a un peu plus de deux ans paraissait en Allemagne un livre qui a fait un assez grand bruit, intitulé La Fin du Capitalisme ; l’auteur, Ferdinand Fried, appartenait à cette célèbre revue, Die Tat, qui a longtemps préconisé un capitalisme d’État, une économie dirigée et fermée, avec une dictature appuyée à la fois sur les organisations syndicales et sur le mouvement national-socialiste. Les révolutionnaires n’ont guère porté attention à l’ouvrage de Fried, et l’ont jugé