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plira selon des procédés qui donnent à quelques hommes un pouvoir quasi discrétionnaire sur les masses ; car, comme ces privilégiés seront sans cesse dans la nécessité de tout mettre en œuvre pour maintenir ou étendre leurs privilèges, les fatigues et les privations devenues inutiles dans la lutte contre la nature subsisteront du fait de la guerre entre les hommes. Dès que la société est divisée entre hommes qui commandent et hommes qui obéissent, le facteur décisif de l’existence sociale est la lutte pour le pouvoir, et la lutte pour la subsistance n’a d’importance qu’en tant qu’elle constitue un élément de la première. Il est vrai, comme l’a vu Marx, que les structures sociales sont principalement déterminées par les rapports entre l’homme et la nature établis par la production ; mais ce n’est pleinement vrai que si l’on considère ces rapports avant tout en fonction du problème du pouvoir, le problème de la subsistance étant rejeté au second plan. Cet ordre semble absurde ; mais il ne fait que refléter l’absurdité fondamentale de notre vie même.

La lutte pour le pouvoir est déterminée, quant à ses procédés et quant à ses perspectives, par le mode de production ; mais elle réagit à son tour sur le mode de production ; la transformation qu’elle y détermine la transforme à son tour ; et ainsi de suite indéfiniment. Le jeu de ces actions et de ces réactions est d’une complication extrême, et on ne peut guère espérer que l’analyse théorique arrive à le serrer de bien près ; il faut essayer d’en reconstituer les grandes lignes par un schéma abstrait, comme l’astronome tente de reconstituer nos cieux changeants en combinant des mouvements d’une régularité géométrique. Tout d’abord, des conditions objectives déterminées assignent à l’oppression des limites infranchissables au delà desquelles le pouvoir se détruit lui-même ; le chef succombe dès qu’il croit pouvoir étendre son autorité au delà de la force dont il dispose. Ainsi, dans les sociétés où la production est principalement agricole et où le principal mode d’exploitation est le pillage à main armée, l’exploitation est limitée d’abord par la nécessité de laisser aux producteurs tout au moins la possibilité de subsister.


C. VARIANTE


Dans un des manuscrits des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, le paragraphe qui commence par : Peut-être cependant peut-on donner un sens, et qui s’achève par : cesser de s’en croire complice du fait qu’on ne fait rien d’efficace pour l’empêcher (pages 79-80), est remplacé par celui-ci :