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lectique le mouvement de l’âme qui, à chaque étape, pour monter au domaine supérieur, s’appuie sur les contradictions irréductibles du domaine dans lequel elle se trouve. Au terme de cette ascension, elle est au contact du bien absolu.

L’image de la contradiction dans la matière, c’est le heurt des forces de direction différente. Marx a purement et simplement attribué à la matière sociale ce mouvement vers le bien à travers les contradictions, que Platon a décrit comme étant celui de la créature pensante tirée en haut par l’opération surnaturelle de la grâce.

Il est facile de voir comment il y a été conduit. Tout d’abord, il a adopté sans réserves les deux croyances fausses auxquelles tenaient si fort les bourgeois de son temps. L’une est la confusion entre la production et le bien, et par suite entre le progrès de la production et le progrès vers le bien ; l’autre est la généralisation arbitraire par laquelle on fait du progrès de la production, si sensible au xixe siècle, la loi permanente de l’histoire humaine.

Seulement, contrairement aux bourgeois, Marx n’était pas heureux. La pensée de la misère le bouleversait, comme quiconque n’est pas insensible. Il lui fallait, comme compensation, quelque chose de catastrophique, une revanche éclatante, un châtiment. Il ne pouvait pas se représenter le progrès comme un mouvement continu. Il le voyait comme une série de secousses violentes, explosives. Il est bien inutile de se demander qui, des bourgeois ou de lui, avait raison. Cette notion même de progrès en faveur au xixe siècle n’a pas de sens.

Les Grecs employaient le mot dialectique quand ils pensaient à la vertu de la contradiction comme support de l’âme tirée en haut par la grâce. Comme Marx de son côté combinait l’image matérielle de la contradiction et l’image matérielle du salut de l’âme, à savoir