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C’est pourquoi, dans les premiers siècles, on comparait la Croix à une balance.

Si une île tout à fait séparée n’avait jamais été peuplée que d’aveugles, la lumière serait pour eux ce qu’est pour nous le surnaturel. On est tenté de croire d’abord que pour eux elle ne serait rien, qu’en faisant à leur usage une physique d’où toute théorie de la lumière soit absente on leur donnerait une explication complète de leur monde. Car la lumière ne heurte pas, ne pousse pas, ne pèse pas, n’est pas mangée. Pour eux, elle est absente. Mais on ne peut pas la laisser hors du compte. Par elle seule les arbres et les plantes montent vers le ciel malgré la pesanteur. Par elle seule mûrissent les graines, les fruits et tout ce qu’on mange.

En assignant au bien et à la nécessité une unité transcendante, on donne au problème humain essentiel une solution incompréhensible, surtout lorsqu’on y ajoute, comme il est indispensable, la croyance plus incompréhensible encore qu’il se communique quelque chose de cette unité transcendante à ceux qui, sans la comprendre, sans pouvoir faire à son égard aucun usage ni de leur intelligence ni de leur volonté, la contemplent avec amour et désir.

Ce qui échappe aux facultés humaines ne peut être, par définition, ni vérifié ni réfuté. Mais il en procède des conséquences qui sont situées au niveau d’au-dessous, dans le domaine accessible à nos facultés ; ces conséquences peuvent être soumises à une vérification. En fait cette épreuve réussit. Une seconde vérification indirecte est constituée par le consentement universel. En apparence l’extrême variété des religions et des philosophies indiquerait que cette preuve n’existe pas ; cette considération a même conduit beaucoup d’esprits au scepticisme. Mais un examen plus attentif montre que, excepté dans les pays qui ont subordonné leur vie spirituelle à l’impérialisme, toute religion porte en son centre secret une doctrine mystique ; et quoique les