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jamais par de pareilles raisons qu’une âme ferme peut se laisser détourner, quand elle aperçoit clairement une chose à faire, et une seule. Il s’agirait donc de séparer, dans la civilisation actuelle, ce qui appartient de droit à l’homme considéré comme individu et ce qui est de nature à fournir des armes contre lui à la collectivité, tout en cherchant les moyens de développer les premiers éléments au détriment des seconds. En ce qui concerne la science, il ne faut plus essayer d’ajouter à la masse déjà trop grande qu’elle constitue ; il faut en faire le bilan pour permettre à l’esprit d’y mettre en lumière ce qui lui appartient en propre, ce qui est constitué par des notions claires, et de mettre à part ce qui n’est que procédé automatique pour coordonner, unifier, résumer ou même découvrir ; il faut tenter de ramener ces procédés eux-mêmes à des démarches conscientes de l’esprit ; il faut d’une manière générale, partout où on le peut, concevoir et présenter les résultats comme un simple moment dans l’activité méthodique de la pensée. À cet effet une étude sérieuse de l’histoire des sciences est sans doute indispensable. Quant à la technique, il faudrait l’étudier d’une manière approfondie, dans son histoire, dans son état actuel, dans ses possibilités de développement, et cela d’un point de vue tout à fait nouveau, qui ne serait plus celui du rendement, mais celui du rapport du travailleur avec son travail. Enfin il faudrait mettre en pleine lumière l’analogie des démarches qu’accomplit la pensée humaine, d’une part dans la vie quotidienne et notamment dans le travail, d’autre part dans l’élaboration méthodique de la science. Quand même une suite de réflexions ainsi orientées devrait rester sans influence sur l’évolution ultérieure de l’organisation sociale, elle n’en perdrait pas pour cela sa valeur ; les destinées futures de l’humanité ne sont pas l’unique objet qui mérite considération. Seuls des fanatiques peuvent n’attacher de prix à leur propre exis-