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tôt plus étroits, et il peut s’y trouver des différences considérables, selon qu’un homme est plus ou moins contraint, à chaque moment de son existence, de se tourner vers autrui pour avoir les moyens de consommer, les moyens de produire, et se préserver des périls. Par exemple un ouvrier qui possède un jardin assez grand pour l’approvisionner en légumes est plus indépendant que ceux de ses camarades qui doivent demander toute leur nourriture aux marchands ; un artisan qui possède ses outils est plus indépendant qu’un ouvrier d’usine dont les mains deviennent inutiles lorsqu’il plaît au patron de lui retirer l’usage de sa machine. Quant à la défense contre les dangers, la situation de l’individu à cet égard dépend du mode de combat que pratique la société où il se trouve ; là où le combat est le monopole des membres d’une certaine couche sociale, la sécurité de tous les autres dépend de ces privilégiés ; là où la puissance des armements et le caractère collectif du combat donnent le monopole de la force militaire au pouvoir central, celui-ci dispose à son gré de la sécurité des citoyens. En résumé la société la moins mauvaise est celle où le commun des hommes se trouve le plus souvent dans l’obligation de penser en agissant, a les plus grandes possibilités de contrôle sur l’ensemble de la vie collective et possède le plus d’indépendance. Au reste les conditions nécessaires pour diminuer le poids oppressif du mécanisme social se contrarient les unes les autres dès que certaines limites sont dépassées ; ainsi il ne s’agit pas de s’avancer aussi loin que possible dans une direction déterminée, mais, ce qui est beaucoup plus difficile, de trouver un certain équilibre optimum.

La conception purement négative d’un affaiblissement de l’oppression sociale ne peut par elle-même donner un objectif aux gens de bonne volonté. Il est indispensable de se faire au moins une représentation vague de la civilisation à laquelle on souhaite que l’hu-