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Deux tonneaux se trouvent placés au seuil de Zeus,
Où sont les dons qu’il donne, mauvais dans l’un, bons dans l’autre.
Ceux pour qui il mélange les dons, Zeus qui lance la foudre,
Ceux-là sont tantôt dans le malheur, tantôt dans la prospérité.
À qui il fait des dons funestes, il l’expose aux outrages.
L’affreux besoin le chasse au travers de la terre divine.
Il erre et ne reçoit d’égards ni des hommes ni des dieux[1].


Il n’y a pas de tableau de la misère humaine plus pur, plus amer et plus poignant que l’Iliade. La contemplation de la misère humaine dans sa vérité implique une spiritualité très haute.

Toute la civilisation grecque est une recherche de ponts à lancer entre la misère humaine et la perfection divine. Leur art à quoi rien n’est comparable, leur poésie, leur philosophie, la science dont ils sont les inventeurs (géométrie, astronomie, mécanique, physique, biologie) n’étaient pas autre chose que des ponts. Ils ont inventé (?) l’idée de médiation. Nous avons gardé ces ponts pour les regarder. Croyants comme incroyants. Mais nous n’avons presque aucune trace de la spiritualité grecque jusqu’à Platon.

Pourtant, voici quelques fragments. Fragment orphique :


Tu trouveras près de la demeure des morts, à gauche, une source.
Près d’elle, tout blanc, se dresse un cyprès.
Cette source-là, n’y va pas, n’en approche pas.
Tu en trouveras une autre qui sort du lac de la Mémoire,
eau froide qui jaillit. Des gardes se tiennent devant.
Dis-leur : Je suis la fille de la Terre et du Ciel étoilé,
mais j’ai mon origine au Ciel. Cela, vous le savez vous-mêmes.
La soif me consume et me tue. Ah ! donnez vite
l’eau froide qui jaillit du lac de la Mémoire.

  1. Iliade, XXIV, 527-533.