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à l’étranger ; il est revenu attaquer sa ville natale, à la tête d’une armée étrangère, dans l’espoir de reprendre le pouvoir. Il y a eu bataille ; les étrangers ont été mis en fuite ; mais les deux frères se sont rencontrés sur le champ de bataille et se sont tués mutuellement.

Leur oncle devient roi. Il décide que les deux cadavres ne seront pas traités de la même manière. L’un des deux frères est mort pour défendre la patrie ; son corps sera enterré avec tous les honneurs convenables. L’autre est mort en attaquant son propre pays ; son corps sera abandonné sur le sol, laissé en proie aux bêtes et aux corbeaux. Il faut savoir que, dans l’esprit des Grecs, il n’y avait pas pire malheur ni de pire humiliation que d’être traité ainsi après la mort. Le roi fait connaître sa décision aux citoyens, et leur fait savoir que quiconque essaiera d’ensevelir le cadavre maudit sera puni de mort.

Les deux frères morts ont laissé deux sœurs qui sont encore des jeunes filles. L’une d’elles, Ismène, est une enfant douce et timide comme on en voit partout ; l’autre, Antigone, a un cœur aimant et un courage héroïque. Elle ne peut pas supporter la pensée que le corps de son frère va être traité aussi honteusement. Entre deux devoirs de fidélité, la fidélité à son frère vaincu et la fidélité à sa patrie victorieuse, elle n’hésite pas un instant. Elle se refuse à abandonner son frère, ce frère dont la mémoire est maudite par le peuple et par l’État. Elle décide d’ensevelir le cadavre malgré la défense du roi et la menace de mort.

Le drame commence par un dialogue entre Antigone et sa sœur Ismène. Antigone voudrait se faire aider par Ismène. Ismène est épouvantée ; son caractère la dispose à l’obéissance bien plutôt qu’à la révolte.


Il nous faut nous soumettre à ceux qui sont les plus forts,
exécuter tous leurs ordres, même s’ils en donnent d’encore plus pénibles.
Pour moi, j’obéirai à ceux qui sont au pouvoir.
Je ne suis pas faite pour me dresser contre l’État.