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ANTIGONE

Il y a près de deux mille cinq cents ans, on écrivait en Grèce de bien beaux poèmes. Ils ne sont plus guère lus que par des gens qui se spécialisent dans cette étude, et c’est bien dommage. Car ces vieux poèmes sont tellement humains qu’ils sont encore très proches de nous et peuvent intéresser tout le monde. Ils seraient même bien plus émouvants pour le commun des hommes, ceux qui savent ce que c’est que lutter et souffrir, que pour les gens qui ont passé leur vie entre les quatre murs d’une bibliothèque.

Sophocle est l’un des plus grands parmi ces vieux poètes. Il a écrit des pièces de théâtre, drames et comédies ; nous ne connaissons plus de lui que quelques drames. Dans chacun de ces drames, le personnage principal est un être courageux et fier qui lutte tout seul contre une situation intolérablement douloureuse ; il fléchit sous le poids de la solitude, de la misère, de l’humiliation, de l’injustice ; par moments son courage se brise ; mais il tient bon et ne se laisse jamais dégrader par le malheur. Aussi ces drames, quoique douloureux, ne laissent-ils jamais une impression de tristesse. On en garde plutôt une impression de sérénité.

Antigone est le titre d’un de ces drames. Le sujet du drame, c’est l’histoire d’un être humain qui, tout seul, sans aucun appui, se met en opposition avec son propre pays, avec les lois de son pays, avec le chef de l’État, et qui bien entendu est aussitôt mis à mort.

Cela se passe dans une ville grecque nommée Thèbes. Deux frères, après la mort de leur père, s’y sont disputé le trône ; l’un d’eux est arrivé à exiler l’autre et est devenu roi. L’exilé a trouvé des appuis