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Hector, en le voyant, fut pris de tremblement. Il ne put se résoudre
À demeurer
Ce n’est pas pour une brebis ou pour une peau de bœuf
Qu’ils s’efforcent, récompenses ordinaires de la course ;
C’est pour une vie qu’ils courent, celle d’Hector dompteur de chevaux.


Blessé à mort, il augmente le triomphe du vainqueur par des supplications vaines :


Je t’implore par ta vie, par tes genoux, par tes parents


Mais les auditeurs de l’Iliade savaient que la mort d’Hector devait donner une courte joie à Achille, et la mort d’Achille une courte joie aux Troyens, et l’anéantissement de Troie une courte joie aux Achéens.


Ainsi la violence écrase ceux qu’elle touche. Elle finit par apparaître extérieure à celui qui la manie comme à celui qui la souffre ; alors naît l’idée d’un destin sous lequel les bourreaux et les victimes sont pareillement innocents, les vainqueurs et les vaincus frères dans la même misère. Le vaincu est une cause de malheur pour le vainqueur comme le vainqueur pour le vaincu.


Un seul fils lui est né, pour une vie courte ; et même,
Il vieillit sans mes soins, puisque bien loin de la patrie,
Je reste devant Troie à faire du mal à toi et à tes fils.


Un usage modéré de la force, qui seul permettrait d’échapper à l’engrenage, demanderait une vertu plus qu’humaine, aussi rare qu’une constante dignité dans la faiblesse. D’ailleurs la modération non plus n’est pas toujours sans péril ; car le prestige, qui constitue la force plus qu’aux trois quarts, est fait avant tout de la superbe indifférence du fort pour les faibles, indifférence si contagieuse qu’elle se communique à ceux qui en sont l’objet. Mais ce n’est pas d’ordinaire une