À qui il fait des dons funestes, il l’expose aux outrages ;
L’affreux besoin le chasse au travers de la terre divine ;
Il erre et ne reçoit d’égards ni des hommes ni des dieux.
Aussi impitoyablement la force écrase, aussi impitoyablement elle enivre quiconque la possède, ou croit la posséder. Personne ne la possède véritablement. Les hommes ne sont pas divisés, dans l’Iliade, en vaincus, en esclaves, en suppliants d’un côté, et en vainqueurs, en chefs, de l’autre ; il ne s’y trouve pas un seul homme qui ne soit à quelque moment contraint de plier sous la force. Les soldats, bien que libres et armés, n’en subissent pas moins ordres et outrages :
Tout homme du peuple qu’il voyait et prenait à crier,
De son sceptre il le frappait et le réprimandait ainsi :
« Misérable, tiens-toi tranquille, écoute parler les autres,
Tes supérieurs. Tu n’as ni courage ni force,
Tu comptes pour rien dans le combat, pour rien dans l’assemblée… »
Thersite paie cher des paroles pourtant parfaitement raisonnables, et qui ressemblent à celles que prononce Achille.
Il le frappa ; lui se courba, ses larmes coulèrent pressées,
Une tumeur sanglante sur son dos se forma
Sous le sceptre d’or ; il s’assit et eut peur.
Dans la douleur et la stupeur il essuyait ses larmes.
Les autres, malgré leur peine, y prirent plaisir et rirent.
Mais Achille même, ce héros fier, invaincu, nous est montré dès le début du poème pleurant d’humiliation et de douleur impuissante, après qu’on a enlevé sous ses yeux la femme dont il voulait faire son épouse, sans qu’il ait osé s’y opposer.