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troublée par les chevaux et elle a peine à contempler l’être. Tantôt elle monte, tantôt elle descend, par la violence que lui font les chevaux, et elle voit certaines choses et d’autres non.

Les autres âmes aspirent toutes à suivre en haut, mais elles ne peuvent pas, elles sont submergées et entraînées et se marchent les unes sur les autres en essayant de se dépasser. Ainsi il y a beaucoup de tumulte, de mêlée et de sueur. Là, par l’insuffisance (κακίᾳ) des cochers, beaucoup de chevaux deviennent boiteux, beaucoup d’ailes sont cassées. Toutes souffrent une grande peine et s’en vont sans avoir atteint (réussi, ἀτελεῖς, non initié, sans avoir été initié à) la contemplation de la réalité. Quand elles sont parties, elles ont recours à une nourriture faite d’opinion. C’est pourquoi il y a une telle ardeur à voir le champ de la vérité, où elle réside ; il se trouve que la nourriture qui convient à ce qu’il y a de meilleur dans l’âme vient de cette prairie ; l’essence (φύσις) de l’aile qui rend l’âme légère a là sa nourriture. Et c’est une loi de fer que celle-ci (νομὸς Ἀδραστείας, i.e. de Némésis). L’âme suivante de Dieu qui aperçoit quelque chose de la vérité (τι τῶν ἀληθῶν), jusqu’au voyage circulaire suivant est hors du malheur. Si elle peut le faire toujours, elle est toujours en sécurité. Mais quand, étant incapable de suivre, elle ne voit pas, quand à l’occasion de quelque hasard (τινι συντυχίᾳ χρησαμένη) elle a été emplie d’oubli et de mal et rendue lourde, dans sa lourdeur elle perd ses ailes et tombe sur la terre[1].


[Alors elle subit une génération humaine. Elle revêt telle ou telle personnalité — philosophe, roi, commerçant, artisan, tyran, etc. ; théorie des castes avec additions — « selon qu’elle a vu là-haut, avant sa chute, plus ou moins de vérité ».] [Pas d’esclaves dans cette énumération.]


« L’âme qui n’a jamais vu la vérité ne revêt jamais cette forme [humaine]. Car il est nécessaire qu’un homme puisse comprendre en raisonnant conformément

  1. Phèdre, 248 a-248 c.