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L’image de Platon indique que la conversion est une opération violente et douloureuse, un arrachement, et elle comporte une quantité irréductible de violence et de douleur à laquelle il est impossible de rien retrancher. Si on ne veut pas payer tout le prix, on ne parvient pas au but, même si on en retranche très peu. Dans tout ce qui est réel il y a quelque chose d’irréductible.

La comparaison de Platon indique des étapes dans cette opération.

Le captif dont les chaînes sont tombées traverse la caverne. Il ne discerne rien ; d’ailleurs il est vraiment dans la pénombre. Il ne lui servirait à rien de s’arrêter et d’examiner ce qui l’entoure. Il faut qu’il marche, quoique ce soit au prix de mille douleurs et sans savoir où il va. La volonté ici est seule en cause ; l’intelligence ne joue aucun rôle. Il faut faire un nouvel effort à chaque pas, et si on cesse de faire effort avant d’être sorti, quand même il ne manquerait qu’un seul pas, on ne sortira jamais. Les derniers pas sont les plus durs.

C’est la part de la volonté dans le salut. Effort à vide, effort de la volonté malheureuse et aveugle, car elle est sans lumière.

(Bien remarquer que tant qu’on est dans la caverne, et même si on a déjà beaucoup marché vers la sortie, à un pas de la sortie, on n’a aucune idée de Dieu.)

Une fois sorti, on souffre plus encore du fait de l’éblouissement, mais on est en sécurité. (À moins, bien entendu, que l’on ne commette la folie de rentrer dans la caverne, auquel cas tout est à recommencer.) Il n’y a plus à faire des efforts de volonté, il faut seulement se maintenir en état d’attente et regarder ce dont l’éclat est à peu près supportable. Dès lors qu’on attend et qu’on regarde, le temps lui-même produira une capacité de plus en plus grande à recevoir la lumière.

Il y a deux périodes de désarroi où on ne sait plus du tout où on est, où on se croit perdu. L’une dans la caverne, quand, délié, on s’est retourné et on a commencé à marcher. L’autre, bien plus aiguë encore,