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Pour peu qu’on ait commencé le processus de destruction du je, on peut empêcher qu’aucun malheur fasse du mal. Car le je n’est pas détruit par la pression extérieure sans une extrême révolte. Si on se refuse à cette révolte par amour pour Dieu, alors la destruction du je ne se produit pas du dehors, mais du dedans.

Douleur rédemptrice. Quand l’être humain est dans l’état de perfection, quand par le secours de la grâce, il a complètement détruit en lui-même le je, si alors il tombe au degré de malheur qui correspondrait pour lui à la destruction du je par l’extérieur, c’est là la plénitude de la croix. Le malheur ne peut plus en lui détruire le je, car le je en lui n’existe plus, ayant entièrement disparu et laissé la place à Dieu. Mais le malheur produit un effet équivalent, sur le plan de la perfection, à la destruction extérieure du je. Il produit l’absence de Dieu. « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Qu’est-ce que cette absence de Dieu produite par l’extrême malheur dans l’âme parfaite ? Quelle est cette valeur qui y est attachée et qu’on nomme douleur rédemptrice ?

La douleur rédemptrice est ce par quoi le mal a réellement la plénitude de l’être dans toute la mesure où il peut la recevoir.

Par la douleur rédemptrice, Dieu est présent dans le mal extrême. Car l’absence de Dieu est le mode de présence divine qui correspond au mal — l’absence ressentie. Celui qui n’a pas Dieu en lui ne peut pas en ressentir l’absence.

C’est la pureté, la perfection, la plénitude, l’abîme du mal. Tandis que l’enfer est un faux abîme (cf. Thibon). L’enfer est superficiel. L’enfer