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Mais on ne le sait pas. Si on porte sur le présent la pointe de ce désir en nous qui correspond à la finalité, elle perce à travers jusqu’à l’éternel.

C’est là l’usage du désespoir qui détourne de l’avenir.

Quand on est déçu par un plaisir qu’on attendait et qui vient, la cause de la déception, c’est qu’on attendait de l’avenir. Et une fois qu’il est là, c’est du présent. Il faudrait que l’avenir fût là sans cesser d’être l’avenir. Absurdité dont seule l’éternité guérit.

Le temps et la caverne. Sortir de la caverne, être détaché consiste à ne plus s’orienter vers l’avenir.

Un mode de purification : prier Dieu, non seulement en secret par rapport aux hommes, mais en pensant que Dieu n’existe pas[1].

Piété à l’égard des morts : tout faire pour ce qui n’existe pas.

La douleur de la mort d’autrui, c’est cette douleur du vide, du déséquilibre. Efforts désormais sans objet, donc sans récompense. Si l’imagination y supplée, abaissement. « Laisse les morts enterrer leurs morts. » Et sa propre mort, n’en est-il pas de même ? L’objet, la récompense sont dans l’avenir. Privation d’avenir, vide, déséquilibre. C’est pourquoi « philosopher, c’est

  1. Dieu n’existe pas en effet à la manière des choses créées qui constituent, pour nos facultés naturelles, l’unique objet d’expérience. Aussi, le contact avec la réalité surnaturelle est-il vécu d’abord comme une expérience du néant. (Note de l’Éditeur).