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LECTURES[1]

Autrui. Percevoir chaque être humain (image de soi-même) comme une prison où habite un prisonnier, avec tout l’univers autour.

Électre, fille d’un père puissant, réduite à l’esclavage, n’ayant d’espoir qu’en son frère, voit un jeune homme qui lui annonce la mort de ce frère — et au moment le plus complet de la détresse, il se révèle que ce jeune homme est son frère. « Elles croyaient que c’était le jardinier. » Reconnaître son frère dans un inconnu, reconnaître Dieu dans l’univers.

Justice. Être continuellement prêt à admettre qu’un autre est autre chose que ce qu’on lit quand il est là (ou qu’on pense à lui). Ou plutôt lire en lui qu’il est certainement autre chose, peut-être tout autre chose que ce qu’on y lit.

Chaque être crie en silence pour être lu autrement.

  1. Dans l’esprit de Simone Weil, ce vocable signifie : interprétation affective, jugement concret de valeur. Je vois par exemple un homme qui escalade un mur : instinctivement (et peut être à tort) je « lis » en lui un voleur (Note de l’Éditeur).