l’opération d’écrire, la main qui tient la plume et le corps et l’âme qui y sont attachés, avec toute leur enveloppe sociale, sont choses d’importance infinitésimale. Des infiniment petits de Nième ordre. C’est du moins la mesure de l’importance que j’attache, par rapport à cette opération, non seulement à ma personne, mais aussi à la vôtre et à celle de tout écrivain que j’estime. La personne de ceux que je méprise plus ou moins compte seule pour moi dans ce domaine.
« Je ne sais pas si je vous ai dit, au sujet de ces cahiers, que vous pouvez en lire les passages que vous voudrez à qui vous voudrez, mais qu’il ne faut en laisser aucun aux mains de personne… Si pendant trois ou quatre ans, vous n’entendez pas parler de moi, considérez que vous en avez la complète propriété.
« Je vous dis tout cela pour partir avec l’esprit plus libre. Je regrette seulement de ne pas pouvoir vous confier tout ce que je porte encore en moi et qui n’est pas développé. Mais heureusement ce qui est en moi, ou bien est sans valeur, ou bien réside hors de moi, sous une forme parfaite, dans un lieu pur où cela ne peut subir nulle atteinte et d’où cela peut toujours redescendre. Dès lors, rien de ce qui me concerne ne saurait avoir aucune espèce d’importance.
« J’aime à croire aussi qu’après le léger choc de la séparation, quoi qu’il doive se produire pour moi, vous n’éprouverez jamais à ce sujet aucun chagrin, et que s’il vous arrive parfois de penser à moi ce sera comme à un livre qu’on a lu dans son enfance. Je voudrais ne jamais tenir d’autre place dans le cœur d’aucun des êtres que j’aime, afin d’être sûre de ne leur causer jamais aucune peine.
« Je n’oublierai pas la générosité qui vous a poussé à me dire et à m’écrire quelques-unes de ces paroles qui réchauffent, même quand, comme c’est mon cas, on ne peut pas y croire. Mais elles n’en sont pas moins un soutien. Trop peut-être. Je ne sais si nous pourrons longtemps encore nous donner mutuellement de nos nouvelles. Mais il faut penser que cela n’a pas d’importance… »