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devient réellement du blé. Si ce blé sert à l’hostie, elle devient chair du Christ. Quiconque laboure avec cette intention doit devenir un saint.


Dieu m’a créée comme du non-être qui a l’air d’exister, afin qu’en renonçant par amour à cette existence apparente, la plénitude de l’être m’anéantisse.


Intégrer à la foi le stoïcisme populaire. On ne l’a jamais fait. Donner spirituellement aux malheureux leur droit de cité dans le christianisme.

N’y a-t-il pas dans la liste des saints plus de princes que de paysans ?

Dieu m’a créée comme du non-être qui a l’air d’être, afin qu’en renonçant par amour à ce que je crois mon être, je sorte du néant. Alors il n’y a plus de je. Le je est du néant. Mais je n’ai pas le droit de savoir cela. Si je le savais, où serait le renoncement ? Je ne le saurai jamais.

Les autres sont des illusions d’être pour eux-mêmes.

Cette manière de les considérer me rend leur existence non pas moins, mais plus réelle. Car je les vois dans leur rapport avec eux-mêmes, non avec moi.

Pour éprouver la compassion devant un malheureux, il faut que l’âme soit divisée en deux. Une partie absolument préservée de toute contagion, de tout danger de contagion. Une partie contaminée jusqu’à l’identification. Cette tension est passion, com — passion. La Passion du Christ est ce phénomène en Dieu.

Tant qu’on n’a pas dans l’âme un point d’éternité préservé de toute contagion du malheur, on ne peut pas avoir la compassion des malheureux. Ou la différence des situations et le manque d’imagination maintient loin d’eux, ou si on en approche vraiment la pitié est mélangée d’horreur, de dégoût, de crainte, d’une répulsion invincible.

Tout mouvement de compassion pure dans une âme est une nouvelle descente du Christ sur terre pour être crucifié.

Les âmes absorbées en Dieu qui n’éprouvent pas la