Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La miséricorde descend de ce qui ne souffre pas à ce qui souffre.

Il faut avoir en soi un point de l’âme impassible pour être miséricordieux.

Et tout le reste exposé sans défense aux hasards de la fortune.

La compassion qu’on éprouve pour le malheureux, c’est la compassion que la partie impassible de sa propre âme éprouve, dans le malheur, pour la partie sensible. La compassion que le Christ éprouvait pour lui-même quand il disait « Mon Père, que ce calice soit écarté… Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » La compassion muette du Père pour le Christ.

Cette compassion pour soi est ce qu’éprouve une âme pure dans le malheur. Une âme pure éprouve la même compassion devant le malheur des autres.

L’amour qui unit le Christ abandonné sur la Croix à son Père à travers une distance infinie habite dans toute âme sainte. Un point de cette âme est en permanence chez le Père. « Là où un homme a son trésor, il a son cœur. » La partie sensible est toujours exposée au supplice du malheur. Dans cette âme, le dialogue que font le cri du Christ et le silence du Père retentit perpétuellement en un accord parfait.

Devant un malheureux, cette âme rend aussitôt le son juste. « Mon Père, pourquoi l’as-tu abandonné ? » Et au centre d’elle-même le silence du Père répond.

« Pourquoi a-t-il été permis qu’il ait faim ? » Pendant que la pensée est occupée par cette question, on va machinalement chercher du pain.

Quand l’action est accomplie ainsi, le malheureux est dispensé de gratitude, car c’est le Christ qui remercie.

« Mon Père, pourquoi… ? » Dieu s’accuse lui-même de la Passion du Christ. « Celui qui me livre est plus coupable… »

On ne peut pardonner le mal aux hommes qu’en en accusant Dieu. Si on accuse Dieu, on pardonne, car Dieu est le Bien.

À travers la multitude de tous ceux qui apparemment nous doivent, Dieu est notre unique débiteur. Mais