avoir senti à aucun moment que l’événement le plus heureux pour lui est d’avoir été condamné.
La douleur physique et morale sont des choses tellement bouleversantes pour l’âme ; et nous nous en interdirions l’usage ? Pourquoi laisser perdre des dons tellement précieux de Dieu ? Mais en pervertir l’usage est affreux.
Si on croit un criminel inguérissable, on n’a pas le droit de le châtier ; on doit seulement l’empêcher de nuire. L’infliction du châtiment est la déclaration d’une foi qu’au fond de l’être coupable il y a un grain de bien pur.
Châtier sans cette foi est faire le mal pour le mal.
Mécanisme indirect d’un crime.
Mon erreur criminelle d’avant 1939 sur les milieux pacifistes et leur action venait de l’incapacité causée depuis tant d’années par l’écrasement de la douleur physique. Étant hors d’état de suivre leur action de près, de les fréquenter, de causer avec eux, je n’ai pas discerné leur inclination à la trahison. Mais je pouvais facilement me rendre compte que l’état où j’étais m’interdisait les responsabilités graves et me prescrivait de m’abstenir. Ce qui a fait écran entre cette évidence et moi, c’était le péché de paresse, la tentation d’inertie. Je désirais si intensément une telle abstention que je ne pouvais me permettre un regard impartial sur les raisons légitimes qui me la conseillaient ; comme un séminariste en proie aux plus violentes tentations de la chair et qui n’ose pas regarder une femme.
C’est parce que la paresse et l’inertie m’avaient souvent maîtrisée dans les petites choses que, dans une grande chose, j’ai cru devoir réagir aveuglément contre la tentation d’inertie, au lieu d’examiner froidement les avantages et les inconvénients possibles de l’action ou de l’abstention.
Donc n’avoir pas eu le courage, un jour de fatigue, d’écrire une lettre, de faire mon lit — cela, accumulé des jours et des jours, m’a enfin jetée dans la faute de négligence criminelle à l’égard de la patrie.