Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’amour de ce qui n’existe pas est plus fort que la mort.

Aimer ce qui n’existe pas — quelle absurdité ? C’est une folie. Or là est le salut de l’âme. On peut prouver qu’il n’y a pas de bassesse à laquelle les circonstances ne puissent en certains cas réduire une âme incapable d’aimer ce qui n’existe pas.

Aimer ce qui n’existe pas, en sachant que cela n’existe pas, c’est une torture de l’âme.

Aimer ce qui est exposé à disparaître, en sachant que c’est exposé à disparaître.

C’est à cause de l’ordre du monde, à cause de cette nécessité qui les domine souverainement, qui les réduit à être conditionnées, que les choses que nous aimons ne méritent pas d’être aimées. La nécessité enlève tout objet à notre amour. Elle est notre unique ennemie. C’est pourquoi c’est sur elle qu’il faut reporter cet amour.

Notre amour a deux objets. D’une part ce qui est digne d’être aimé, mais qui, au sens qu’a l’existence pour nous, n’existe pas. C’est Dieu. D’autre part ce qui existe, mais ne contient rien qu’il soit possible d’aimer. C’est la nécessité. Il faut aimer les deux.

L’amour a besoin que son objet existe (ici-bas) et soit aimable, Or pour notre amour il n’y a pas de tel objet. Et d’autre part notre amour est notre être même que rien ne peut arracher de nous.

Ou on feint que certaines choses d’ici-bas sont aimables, Ou on feint que ce qui est aimable est ici-bas. Ou on laisse l’amour, en partie s’user et s’effriter, en partie tourner à l’aigre et devenir haine.

Sion ne se permet rien de tout cela, on subit une transformation merveilleuse qui donne le secret. On aime les deux choses impossibles à aimer, ce qui n’existe pas et ce qui n’est pas aimable.

L’existence et l’amabilité (qualité de ce qui peut être aimé) sont des conditions de l’amour. Si on aime ce qui est privé de l’un et ce qui est privé de l’autre — les deux, cela est indispensable — on aime inconditionnellement.