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propre passé, ce qui est pour l’homme le plus grand mal.

Le passé nous tient. Il est plus réel que le présent. Et chaque être a son passé à quoi nul autre ne peut toucher.

En pensée l’âme refait l’acte, avec le motif en moins.

Souhaitant sans cesse que sa femme soit encore intacte (ne serait-il pas un bon héros de tragédie ?), sa pensée se porte au temps encore proche où elle l’était. Pour rejoindre le présent, sa pensée doit traverser cet acte. Or cet acte a perdu maintenant le mobile qui seul le rendait possible. La pensée tombe sans cesse dans le passé, et ne peut rejoindre le présent qu’en passant par de l’impossible.

Il en est de même pour une action dont l’accomplissement détruit le mobile qui seul la rendait possible. Par exemple un meurtre causé par une colère qui s’évanouit dès qu’il est accompli.

La pensée, enfuie dans le passé innocent, doit retraverser le meurtre étant sans colère. Or c’est un voyage impossible,

Les conséquences d’une action sont plus durables que leurs mobiles. Les conséquences malheureuses forcent l’âme à se réfugier dans le passé où elles n’étaient pas, et à rejoindre le présent en passant par des actions sans mobiles. C’est une torture pour la pensée.

Il en est ainsi quelle que soit la nature des mobiles, qu’ils soient honorables ou honteux.

L’homme n’échapperait à ce supplice qu’en accomplissant des actions sans mobile.

Le peut-il ?

Seulement si Dieu descend en lui pour agir à sa place.

Comment peut-il y parvenir ?

En suppliant Dieu de descendre.

L’obéissance à Dieu est le seul motif inconditionné et qui ne peut jamais disparaître. Elle transporte l’action dans l’éternité.