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Il ne suffit pas de vouloir leur éviter des souffrances, il faudrait vouloir leur joie. Non pas des plaisirs qui se paient, mais des joies gratuites qui ne portent pas atteinte à l’esprit de pauvreté. La poésie surnaturelle qui devrait baigner toute leur vie devrait aussi être concentrée à l’état pur, de temps à autre, dans des fêtes éclatantes. Les fêtes sont aussi indispensables à cette existence que les bornes kilométriques au réconfort du marcheur. Des voyages gratuits et laborieux, semblables au Tour de France d’autrefois, devraient dans leur jeunesse rassasier leur faim de voir et d’apprendre. Tout devrait être disposé pour que rien d’essentiel ne leur manque. Les meilleurs d’entre eux doivent pouvoir posséder dans leur vie elle-même la plénitude que les artistes cherchent indirectement par l’intermédiaire de leur art. Si la vocation de l’homme est d’atteindre la joie pure à travers la souffrance, ils sont placés mieux que tous les autres pour l’accomplir de la manière la plus réelle.