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prise. Bien entendu, le problème se pose différemment pour chaque usine, chaque fabrication, et on peut trouver selon les cas particuliers, des méthodes infiniment variées pour stimuler et satisfaire la curiosité des travailleurs à l’égard de leur travail. Il n’y faut pas un grand effort d’imagination, à condition de concevoir clairement le but, qui est de déchirer le voile que met l’argent entre le travailleur et le travail. Les ouvriers croient, de cette espèce de croyance qui ne s’exprime pas en paroles, qui serait absurde ainsi exprimée, mais qui imprègne tous les sentiments, que leur peine se transforme en argent dont une petite part leur revient et dont une grosse part va au patron. Il faut leur faire comprendre, non pas avec cette partie superficielle de l’intelligence que nous appliquons aux vérités évidentes — car de cette manière ils le comprennent déjà — mais avec toute l’âme et pour ainsi dire avec le corps lui-même, dans tous les moments de leur peine, qu’ils fabriquent des objets qui sont appelés par des besoins sociaux, et qu’ils ont un droit limité, mais réel, à en être fiers.

Il est vrai qu’ils ne fabriquent pas véritablement des objets tant qu’ils se bornent à répéter longtemps une combinaison de cinq ou six gestes simples toujours identique à elle-même. Cela ne doit plus être. Tant qu’il en sera ainsi, et quoi qu’on fasse, il y aura toujours au cœur de la vie sociale un prolétariat avili et haineux. Il est vrai que certains êtres humains, mentalement arriérés, sont naturellement aptes à ce genre de travail ; mais il n’est pas vrai que leur nombre soit égal à celui des êtres humains qui en fait travaillent ainsi, et il s’en faut de très loin. La preuve en est que sur cent enfants nés dans des familles bourgeoises la proportion de ceux qui, une fois hommes, ne font que des tâches machinales est bien moindre que pour cent enfants d’ouvriers, quoique la répartition des aptitudes soit en moyenne vraisemblablement la même. Le remède n’est pas difficile à trouver, du moins dans une période normale où le métal ne manque pas. Toutes les fois qu’une fabrication exige la répétition d’une combinaison d’un petit nombre de mouvements simples, ces mouvements peuvent être accomplis par une machine automatique, et cela sans aucune exception. On emploie de préférence un homme parce que l’homme est une machine qui obéit à la voix et qu’il suffit à un homme de recevoir un ordre pour substituer en un moment telle