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reste l’énergie qui permet de faire un mouvement, l’équivalent de la force électrique ; et on l’utilise exactement comme on utilise l’électricité.

Par les moyens les plus grossiers, en employant comme stimulant à la fois la contrainte et l’appât du gain, en somme par une méthode de dressage qui ne fait appel à rien de ce qui est proprement humain, on dresse l’ouvrier comme on dresse un chien, en combinant le fouet et les morceaux de sucre. Heureusement qu’on n’en arrive pas là tout à fait, parce que la rationalisation n’est jamais parfaite et que, grâce au ciel, le chef d’atelier ne connaît jamais tout. Il reste des moyens de se débrouiller, même pour un ouvrier non qualifié. Mais si le système était strictement appliqué, ce serait exactement cela.

Il a encore un certain nombre d’avantages pour la direction et d’inconvénients pour les ouvriers. Tandis que la direction a le monopole de toutes les connaissances concernant le travail, elle n’a pas la responsabilité des coups durs à cause du travail aux pièces et à la prime. Avant juin, on était arrivé à ce miracle que tout ce qui était bien était porté au bénéfice des patrons, mais tous les coups durs étaient à la charge des ouvriers qui perdaient leur salaire si une machine était déréglée, qui devaient se débrouiller si quelque chose ne collait pas, si un ordre était inapplicable ou si deux ordres étaient contradictoires (car théoriquement ça colle toujours ; l’acier des outils est toujours bon, et si l’outil se casse, c’est toujours la faute de l’ouvrier), etc. Et comme le travail est aux pièces, les chefs font encore une faveur quand ils veulent bien aider à réparer des coups durs. De sorte que véritablement ce système est idéal pour les patrons, puisqu’il comporte tous les avantages pour eux, tandis qu’il réduit les ouvriers à l’état d’esclaves et leur impose tout de même des initiatives toutes les fois que ça ne colle pas. C’est un raffinement d’où résulte de la souffrance dans les deux cas, parce que dans tous les cas c’est l’ouvrier qui a tort.

On ne peut appeler scientifique un tel système qu’en partant du principe que les hommes ne sont pas des hommes, et en faisant jouer à la science le rôle rabaissé d’instrument de contrainte. Mais le rôle véritable de la science en matière d’organisation du travail est de trouver de meilleures techniques. En règle générale, le fait qu’il est si facile d’exploiter toujours plus la force ouvrière crée une sorte de paresse chez les chefs, et on a vu dans beau-