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était d’éviter toute perte de temps dans le travail. Cela montre tout de suite quel était l’esprit du système. Et pendant vingt-six ans il a travaillé avec cette unique préoccupation. Il a conçu et organisé progressivement le bureau des méthodes avec les fiches de fabrication, le bureau des temps pour l’établissement du temps qu’il fallait pour chaque opération, la division du travail entre les chefs techniques et un système particulier de travail aux pièces avec prime.


Cet aperçu permet de comprendre en quoi a consisté l’originalité de Taylor et quels sont les fondements de la rationalisation. Jusqu’à lui, on n’avait guère fait de recherches de laboratoire que pour découvrir des dispositifs mécaniques nouveaux, pour trouver de nouvelles machines, tandis que lui a eu l’idée d’étudier scientifiquement les meilleurs procédés pour utiliser les machines existantes. Il n’a pas fait, à proprement parler, de découvertes, sauf celle des aciers rapides. Il a cherché simplement les procédés les plus scientifiques pour utiliser au mieux les machines qui existaient déjà ; et non seulement les machines mais aussi les hommes. C’était son obsession. Il a fait son laboratoire pour pouvoir dire aux ouvriers : Vous avez eu tort de faire tel travail en une heure, il fallait le faire en une demi-heure. Son but était d’ôter aux travailleurs la possibilité de déterminer eux-mêmes les procédés et le rythme de leur travail, et de remettre entre les mains de la direction le choix des mouvements à exécuter au cours de la production. Tel était l’esprit de ses recherches. Il ne s’agissait pas pour Taylor de soumettre les méthodes de production à l’examen de la raison, ou du moins ce souci ne venait qu’en deuxième lieu ; son souci primordial était de trouver les moyens de forcer les ouvriers à donner à l’usine le maximum de leur capacité de travail. Le laboratoire était pour lui un moyen de recherche, mais avant tout un moyen de contrainte.

Cela résulte explicitement de ses propres ouvrages.

La méthode de Taylor consiste essentiellement en ceci : d’abord, on étudie scientifiquement les meilleurs procédés à employer pour n’importe quel travail, même le travail de manœuvres (je ne parle pas de manœuvres spécialisés, mais de manœuvres proprement dits), même la manutention ou les travaux de ce genre ; ensuite, on étudie les temps par la décomposition de chaque travail en mouve-