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d’hui je m’insurge en pensant qu’elle a disparu si tôt en grande partie à cause des souffrances qu’elle a délibérément endurées. Mais n’est-ce pas à toutes ces souffrances gratuites qu’elle doit son extraordinaire « pouvoir d’attention », attention qui lui a permis de retrouver dans la poussière de la vie quotidienne le grain de pureté qui s’y trouvait ? N’est-ce pas ces souffrances gratuites qui ont fait d’elle un témoin dont la pureté et la sincérité ne peuvent jamais être mises en doute ? N’est-ce pas elles enfin qui lui ont donné cette admirable compassion qui la rendait perméable à toute misère humaine ? Le grand mérite de Simone est d’avoir mis une harmonie totale entre son besoin de perfection et sa vie, cela antérieurement à toute influence religieuse. Ce besoin de perfection était tel d’ailleurs qu’il l’a empêchée d’entrer dans l’Église qui, étant l’œuvre des hommes, porte les stigmates de l’imperfection, tout comme les mouvements révolutionnaires auxquels elle est restée attachée par tant de liens visibles.

Les raisons qui nous avaient fait l’apprécier et l’aimer restent entières. Aussi, même si nous l’abandonnons au seuil de sa vie mystique qui nous est étrangère, lui gardons-nous une affection intacte et un souvenir fidèle.

Albertine Thévenon.
Roche-la-Molière, décembre 1950.