Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/164

Cette page a été validée par deux contributeurs.

P.-S. — Pourriez-vous me faire envoyer les numéros de votre journal parus depuis le no 30 ? Ma collection s’arrête là. Mais je serais malheureuse si quelqu’un subissait une engueulade à cause de moi…




Monsieur[1],

J’aurais voulu vous répondre plus tôt. Je n’ai pas eu jusqu’ici la possibilité de fixer une date. Vous convient-il que j’aille vous voir jeudi 30 avril, à l’heure habituelle ? Si oui, inutile de répondre. La proposition que vous me faites, de passer une journée entière à R. pour tout voir de plus près, est celle qui pouvait me faire le plus de plaisir ; seulement je pense qu’une entrevue préalable est nécessaire pour fixer le programme. Je vous remercie infiniment de me fournir ainsi le moyen de mieux me rendre compte. Je ne demande certes qu’à mettre en tout domaine mes idées à l’épreuve du contact avec les faits ; et croyez bien que la probité intellectuelle est toujours à mes yeux le premier des devoirs.

Je voudrais, pour abréger les explications orales, vous savoir persuadé que vous avez mal interprété certaines de mes réactions. L’hostilité systématique envers les supérieurs, l’envie à l’égard des plus favorisés, la haine de la discipline, le mécontentement perpétuel, tous ces sentiments mesquins sont absolument étrangers à mon caractère. J’ai au plus haut point le respect de la discipline dans le travail, et je méprise quiconque ne sait pas obéir. Je sais très bien aussi que toute organisation implique des ordres donnés et reçus. Mais il y a ordres et ordres. Moi, j’ai subi comme ouvrière une subordination qui m’a été intolérable, encore que j’aie toujours (ou presque) strictement obéi, et que je sois parvenue péniblement à une espèce de résignation. Je n’ai pas à me justifier (pour employer votre expression) d’avoir éprouvé dans cette situation une souffrance intolérable, j’ai seulement à essayer d’en déterminer exactement les causes ; tout ce qu’on pourrait avoir à me reprocher à ce sujet serait de me tromper dans cette détermination, ce qui est peut-être le cas. D’autre part jamais, en aucun cas, je ne consentirai à juger convenable pour un

  1. Non datée (avril 1936 ?).