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me garantir, le cas échéant, d’un nouvel oubli. J’ai cru comprendre, d’après une histoire racontée par vous, qu’à l’usine il est interdit de causer sous peine d’amende. En est-il bien ainsi ? Si c’est le cas, j’aurais bien des choses à vous dire sur la dure contrainte que constitue pour un ouvrier un tel règlement, et, plus généralement, sur le principe que, dans une journée de travail, il ne faut pas gaspiller une minute.




Mardi 30 mars.
Monsieur,

Merci de votre invitation. Malheureusement il faut reculer l’entrevue de 3 semaines. Cette semaine, impossible d’aller vous voir ; je suis, physiquement, complètement à plat, et j’ai à peine la force de faire la classe. Ensuite, quinze jours de vacances, que je ne passerai pas à Bourges. À la rentrée, j’espère être relativement en forme. Voulez-vous convenir, pour fixer les idées, et sauf avis contraire de part et d’autre, que j’irai vous voir le lundi 20 avril ?

En somme, il me semble que le seul obstacle sérieux à ce que vous me preniez comme ouvrière, c’est un certain manque de confiance. Les obstacles matériels dont vous m’avez parlé sont des difficultés surmontables. Voici ce que je veux dire — Vous pensez bien que je ne considère pas les ouvriers de R. comme un terrain d’expérience ; je serais tout aussi malheureuse que vous qu’une tentative pour alléger leur sort aboutisse à l’aggraver. Si donc, en travaillant à R., j’y sentais, pour employer vos termes, une certaine sérénité que l’exécution de mes projets serait susceptible de troubler, j’y renoncerais la première. Là-dessus nous sommes d’accord. Le point délicat, c’est l’appréciation de la situation morale des ouvriers.

Sur ce point, vous ne vous fieriez pas à moi. C’est très légitime et je le comprends. Je me rends compte d’ailleurs que je suis moi-même cause dans une certaine mesure de ce manque de confiance, du fait que je vous ai écrit avec une extrême maladresse, en exprimant toutes les idées sous leur forme la plus brutale. Mais c’était consciemment. Je suis incapable d’user d’adresse, pour quelque intérêt que ce soit, envers les gens auxquels je tiens.

Si vous passez à Paris, ne manquez pas de voir le nou-