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particulier où l’école est bonne, et sous réserve d’un contrôle.

Accorder au clergé une part dans l’enseignement public n’est pas une solution. Si c’était possible, ce ne serait pas désirable, et ce n’est pas possible en France sans guerre civile.

Donner ordre aux instituteurs de parler de Dieu aux enfants, comme l’a fait quelques mois le gouvernement de Vichy, sur l’initiative de M. Chevalier, est une plaisanterie de très mauvais goût.

Conserver à la philosophie laïque son statut officiel serait une mesure arbitraire, injuste en ce qu’elle ne répond pas à l’échelle des valeurs, et qui nous précipiterait tout droit dans le totalitarisme. Car, bien que la laïcité ait excité un certain degré de ferveur presque religieuse, c’est par la nature des choses un degré faible ; et nous vivons dans une époque d’enthousiasmes chauffés à blanc. Le courant idolâtre du totalitarisme ne peut trouver d’obstacle que dans une vie spirituelle authentique. Si l’on habitue les enfants à ne pas penser à Dieu, ils deviendront fascistes ou communistes par besoin de se donner à quelque chose.

On voit plus clairement ce que la justice exige en ce domaine quand on a remplacé la notion de droit par celle d’obligation liée au besoin. Une âme jeune qui s’éveille à la pensée a besoin du trésor amassé par l’espèce humaine au cours des siècles. On fait tort à un enfant quand on l’élève dans un christianisme étroit qui l’empêche de jamais devenir capable de s’apercevoir qu’il y a des trésors d’or pur dans les civilisations non chrétiennes. L’éducation laïque fait aux enfants un tort plus grand. Elle dissimule ces trésors, et ceux du christianisme en plus.

La seule attitude à la fois légitime et pratiquement possible que puisse avoir, en France, l’enseignement public à l’égard du christianisme consiste à le regarder comme un trésor de la pensée humaine parmi tant d’autres. Il est absurde au plus haut point qu’un bachelier français ait pris connaissance de poèmes du Moyen Âge, de Polyeucte, d’Athalie, de Phèdre, de Pascal, de Lamartine, de doctrines philosophiques imprégnées de christianisme comme celles de Descartes et de Kant, de la Divine Comédie ou du Paradise Lost, et qu’il n’ait jamais ouvert la Bible.

Il n’y aurait qu’à dire aux futurs instituteurs et aux futurs professeurs : la religion a eu de tout temps et en tout pays, sauf