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la vigne, le blé, les brebis dont il est fait mention le dimanche dans l’église n’ont rien de commun avec la vigne, le blé, les brebis qui se trouvent dans les champs et auxquels on donne tous les jours un peu de sa vie. Les paysans chrétiens sont déracinés aussi dans leur vie religieuse. L’idée de représenter un village sans église dans l’Exposition de 1937 n’était pas aussi absurde que beaucoup l’ont dit.

Comme les petits Jocistes s’exaltent à la pensée du Christ ouvrier, les paysans devraient puiser la même fierté dans la part qu’accordent les paraboles de l’Évangile à la vie des champs et dans la fonction sacrée du pain et du vin, et en tirer le sentiment que le christianisme est une chose à eux.

Les polémiques autour de la laïcité ont été une des principales sources d’empoisonnement de la vie paysanne en France. Malheureusement elles ne sont pas près de finir. Il est impossible d’éviter de prendre position sur ce problème, et il semble d’abord presque impossible d’en trouver une qui ne soit pas très mauvaise.

Il est certain que la neutralité est un mensonge. Le système laïque n’est pas neutre, il communique aux enfants une philosophie qui est d’une part très supérieure à la religion genre Saint-Sulpice, d’autre part très inférieure au christianisme authentique. Mais celui-ci, aujourd’hui, est très rare. Beaucoup d’instituteurs portent à cette philosophie un attachement d’une ferveur religieuse.

La liberté de l’enseignement n’est pas une solution. Le mot est vide de sens. La formation spirituelle d’un enfant n’appartient à personne ; ni à l’enfant, puisqu’il n’est pas en mesure d’en disposer ; ni aux parents ; ni à l’État. Le droit des familles invoqué si souvent n’est qu’une machine de guerre. Un prêtre qui, ayant une occasion naturelle de le faire, s’abstiendrait de parler du Christ à un enfant de famille non chrétienne serait un prêtre qui n’aurait guère de foi. Maintenir l’école laïque, telle quelle, et permettre ou même favoriser, à côté, la concurrence de l’école confessionnelle est une absurdité du point de vue théorique et du point de vue pratique. Les écoles privées, confessionnelles ou non, doivent être autorisées, non pas en vertu d’un principe de liberté, mais pour un motif d’utilité publique dans chaque cas