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ayant roulé par le monde plusieurs années sans jamais cesser d’être un paysan, rentrerait chez lui, ses inquiétudes apaisées, et fonderait un foyer.

Il faudrait peut-être quelque chose d’analogue pour les jeunes filles ; il leur faut bien quelque chose pour remplacer Marie-Claire, et on ne peut pas leur laisser Marie-Claire.

La caserne a été un terrible facteur de déracinement pour les jeunes paysans. C’est à ce point que l’instruction militaire a eu finalement un effet contraire à son but ; les jeunes gens avaient appris l’exercice, mais étaient moins préparés à se battre qu’avant de l’apprendre, car quiconque sortait de la caserne en sortait antimilitariste. C’est la preuve expérimentale qu’on ne peut pas, dans l’intérêt même de la machine militaire, laisser les militaires disposer souverainement de deux années de chaque vie, ou fût-ce même d’une année. Comme on ne peut pas laisser le capitalisme maître de la formation professionnelle de la jeunesse, on ne peut pas laisser l’Armée maîtresse de sa formation militaire. Les autorités civiles doivent y prendre part, et cela de manière à faire qu’elle constitue une éducation et non une corruption.

Le contact entre jeunes paysans et jeunes ouvriers au service militaire n’est pas du tout désirable. Les seconds cherchent à épater les premiers et cela fait du mal aux uns et aux autres. De tels contacts ne suscitent pas de vrais rapprochements. Seule l’action commune rapproche ; et par définition, il n’y a pas d’action commune à la caserne, puisqu’on s’y prépare à la guerre en temps de paix.

Il n’y a aucune raison d’installer les casernes dans les villes. À l’usage des jeunes paysans, on pourrait très bien établir des casernes loin de toute ville.

Il est vrai que les patrons des maisons de tolérance y perdraient. Mais il est inutile de songer à aucune espèce de réforme si l’on n’est pas absolument décidé à mettre fin à la collusion des pouvoirs publics avec ces gens-là, et à abolir une institution qui est une des hontes de la France.

Soit dit en passant, nous avons payé cher cette honte. La prostitution établie comme une institution officielle, selon le régime propre à la France, a largement contribué à pourrir l’armée, et a complètement pourri la police, ce qui devait entraîner la ruine de