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Au xive siècle, les paysans étaient de très loin les plus malheureux. Mais même quand ils sont matériellement plus heureux — et quand c’est le cas, ils ne s’en rendent guère compte, parce que les ouvriers qui viennent passer au village quelques jours de vacances succombent à la tentation des vantardises — ils sont toujours tourmentés par le sentiment que tout se passe dans les villes, et qu’ils sont « out of it ».

Bien entendu, cet état d’esprit est aggravé par l’installation dans les villages de T. S. F., de cinémas, et par la circulation de journaux tels que Confidences et Marie-Claire, auprès desquels la cocaïne est un produit sans danger.

La situation étant telle, il faut d’abord inventer et mettre en application quelque chose qui donne désormais aux paysans le sentiment qu’ils sont « in it ».

Il est peut-être regrettable que dans les textes émanant officiellement de Londres il ait toujours été fait mention des ouvriers beaucoup plus que d’eux. Il est vrai qu’ils ont une part beaucoup, beaucoup moindre à la résistance. Mais c’est peut-être une raison de plus pour donner des preuves répétées qu’on sait qu’ils existent.

Il faut avoir présent à l’esprit qu’on ne peut pas dire que le peuple français soit pour un mouvement quand ce n’est pas vrai de la majorité des paysans.

On devrait se faire une règle de ne jamais promettre du nouveau et du mieux aux ouvriers sans en promettre autant aux paysans. La grande habileté du parti nazi avant 1933 a été de se présenter aux ouvriers comme un parti spécifiquement ouvrier, aux paysans comme un parti spécifiquement paysan, aux petits bourgeois comme un parti spécifiquement petit bourgeois, etc. Cela lui était facile, car il mentait à tout le monde. Il faudrait en faire autant, mais sans mentir à personne. C’est difficile, mais ce n’est pas impossible.

Le déracinement paysan a été, au cours des dernières années, un danger aussi mortel pour le pays que le déracinement ouvrier. Un des symptômes les plus graves a été, il y a sept ou huit ans, le dépeuplement des campagnes se poursuivant en pleine crise de chômage.

Il est évident que le dépeuplement des campagnes, à la limite,