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contrainte, à repenser pour eux leur expérience récente, en vue d’un rapprochement de la culture et du peuple, en vue d’une orientation nouvelle de la culture.

Les organisations syndicales de résistance pourraient en ce moment être l’occasion de tels rapprochements. Mais d’une manière générale, s’il doit y avoir une vie de la pensée dans les syndicats ouvriers, ils devront avoir avec les intellectuels d’autres contacts que ceux consistant à les grouper dans la C. G. T. en organisations professionnelles pour la défense de leurs propres gros sous. C’était de la dernière absurdité.

La relation naturelle serait qu’un syndicat admette comme membres d’honneur, mais avec défense d’intervenir dans des délibérations sur l’action, des intellectuels qui se mettraient gratuitement à son service pour l’organisation de cours et de bibliothèques.

Il serait hautement désirable que dans la génération qui, par sa jeunesse, a échappé au mélange avec les travailleurs dans la contrainte de la captivité, il surgisse un courant analogue à celui qui a agité les étudiants russes il y a cinquante ans, mais avec des pensées plus claires, et que des étudiants aillent faire des stages volontaires et prolongés, comme ouvriers anonymement mélangés à la masse, dans les champs et les usines.

En résumé, la suppression de la condition prolétarienne, qui est définie avant tout par le déracinement, se ramène à la tâche de constituer une production industrielle et une culture de l’esprit où les ouvriers soient et se sentent chez eux.

Bien entendu, les ouvriers eux-mêmes auraient une large part dans une telle construction. Mais par la nature des choses cette part irait en croissant à mesure que s’accomplirait leur libération réelle. Elle est inévitablement au minimum tant que les ouvriers sont dans l’emprise du malheur.

Ce problème de la construction d’une condition ouvrière réellement nouvelle est urgent et doit être examiné sans retard. Une orientation doit être décidée dès maintenant. Car aussitôt la guerre finie, on construira, au sens littéral du mot. On construira des maisons et des bâtiments. Ce qu’on aura construit ne sera plus démoli, à moins d’une nouvelle guerre, et la vie s’y adaptera. Il serait paradoxal qu’on laissât s’assembler au hasard