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appareils de sécurité, bien qu’en fait les doigts coupés et les escaliers d’usines quotidiennement mouillés de sang frais soient si fréquents.

Mais cette faible marque d’attention est la seule. Non seulement on ne pense pas au bien-être moral des ouvriers, ce qui exigerait un trop grand effort d’imagination ; mais on ne pense même pas à ne pas meurtrir leur chair. Autrement on aurait peut-être trouvé autre chose pour les mines que cet affreux marteau-piqueur à air comprimé, qui agite de secousses ininterrompues, pendant huit heures, l’homme qui y est accroché.

On ne pense pas non plus à se demander si la nouvelle machine, en augmentant l’immobilisation du capital et la rigidité de la production, ne va pas aggraver le danger général de chômage.

À quoi sert-il aux ouvriers d’obtenir à force de lutte une augmentation des salaires et un adoucissement de la discipline, si pendant ce temps les ingénieurs de quelques bureaux d’études inventent, sans aucune mauvaise intention, des machines qui épuisent leur corps et leur âme ou aggravent les difficultés économiques ? À quoi leur servirait la nationalisation partielle ou totale de l’économie, si l’esprit de ces bureaux d’études n’a pas changé ? Et jusqu’ici, autant qu’on sache, il n’a pas changé là où il y a eu nationalisation. Même la propagande soviétique n’a jamais prétendu que la Russie ait trouvé un type radicalement nouveau de machine, digne d’être employé par un prolétariat dictateur.

Pourtant, s’il y a une certitude qui apparaisse avec une force irrésistible dans les études de Marx, c’est qu’un changement dans le rapport des classes doit demeurer une pure illusion s’il n’est pas accompagné d’une transformation de la technique, transformation cristallisée dans des machines nouvelles.

Du point de vue ouvrier, une machine a besoin de posséder trois qualités. D’abord elle doit pouvoir être maniée sans épuiser ni les muscles, ni les nerfs, ni aucun organe — et aussi sans couper ou déchirer la chair, sinon d’une manière très exceptionnelle.

En second lieu, relativement au danger général de chômage, l’appareil de production dans son ensemble doit être aussi souple que possible, pour pouvoir suivre les variations de la demande. Par suite une même machine doit être à usages multiples, très variés si possible et même dans une certaine mesure