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lisme français, unique reflet chez nous de l’esprit des corporations. Les faibles restes de ce syndicalisme sont au nombre des étincelles sur lesquelles il est le plus urgent de souffler.

Depuis plusieurs siècles, les hommes de race blanche ont détruit du passé partout, stupidement, aveuglément, chez eux et hors de chez eux. Si à certains égards il y a eu néanmoins progrès véritable au cours de cette période, ce n’est pas à cause de cette rage, mais malgré elle, sous l’impulsion du peu de passé demeuré vivant.

Le passé détruit ne revient jamais plus. La destruction du passé est peut-être le plus grand crime. Aujourd’hui, la conservation du peu qui reste devrait devenir presque une idée fixe. Il faut arrêter le déracinement terrible que produisent toujours les méthodes coloniales des Européens, même sous leurs formes les moins cruelles. Il faut s’abstenir, après la victoire, de punir l’ennemi vaincu en le déracinant encore davantage ; dès lors qu’il n’est ni possible ni désirable de l’exterminer, aggraver sa folie serait être plus fou que lui. Il faut aussi avoir en vue avant tout, dans toute innovation politique, juridique ou technique susceptible de répercussions sociales, un arrangement permettant aux êtres humains de reprendre des racines.

Cela ne signifie pas les confiner. Jamais au contraire l’aération n’a été plus indispensable. L’enracinement et la multiplication des contacts sont complémentaires. Par exemple, si, partout où la technique le permet — et au prix d’un léger effort dans cette direction elle le permettrait largement —, les ouvriers étaient dispersés et propriétaires chacun d’une maison, d’un coin de terre et d’une machine ; et si en revanche on ressuscitait pour les jeunes le Tour de France d’autrefois, au besoin à l’échelle internationale ; si les ouvriers avaient fréquemment l’occasion de faire des stages à l’atelier de montage où les pièces qu’ils fabriquent se combinent avec toutes les autres, ou d’aller aider à former des apprentis ; avec en plus une protection efficace des salaires, le malheur de la condition prolétarienne disparaîtrait.

On ne détruira pas la condition prolétarienne avec des mesures juridiques, qu’il s’agisse de la nationalisation des industries-clefs, ou de la suppression de la propriété privée, ou de pouvoirs accordés aux syndicats pour la conclusion de conventions collec-